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Cinq rechants

« le titre est un hommage au Printemps de Claude Le Jeune, chef-d’oeuvre d’écriture chorale et chef-d’oeuvre de rythme. Dans le Printemps, les couplets sont appelés « chants », les refrains « rechants ». »

Le lien qui relie les Cinq rechants à l’oeuvre de Claude Le Jeune est explicité précisément par Messiaen : « le titre est un hommage au Printemps de Claude Le Jeune, chef-d’oeuvre d’écriture chorale et chef-d’oeuvre de rythme. Dans le Printemps, les couplets sont appelés « chants », les refrains « rechants ». Ici, chants et rechants alternent également. » Le rythme est central dans les deux oeuvres : celle de Messiaen emprunte aux deçî-tâlas, rythmes anciens de l’Inde, et celle de Claude Le Jeune à la métrique grecque. Le poème des Cinq rechants, écrit par Olivier Messiaen, « est écrit pour moitié en français surréaliste, et pour moitié en langue inventée. » Les parties françaises du poème contiennent quant à elles « de nombreux symboles de l’amour : les noms de Tristan et Yseult, Viviane et Merlin, Orphée ».
Pascal Dusapin s’est inspiré d’un sommet de la poésie spirituelle médiévale, le Granum sinapis (« Grain de sénevé ») du théologien et philosophe Maître Eckhart, dont le titre fait référence à une parabole de la Bible. L’écriture vocale, sobre et dépouillée, invite à la quiétude et au recueillement.

Adélaide Robert
Festival Messiaen au Pays de la Meije

 



L’oeuvre de Pascal Dusapin vue par :
Joël Clerget
Psychanalyste, enseignant et écrivain


Lignes d’air

« Iâ stat, lâ zît,
ouch bilde mît!
Laisse le lieu, laisse le temps, évite aussi l’image ! »
Maître Eckhart, Granum sinapis

Sur un départ johannique fondé sur le commencement, « In dem begin », par-delà tout entendement, réside la fertilité d’un lieu où « l’aube enfante l’aube ». Granum est grain et graine, tant fait pour la mouture que pour la fécondité de la pousse. Granum sinapis est l’exacte illustration de la puissance horticole, jardinière, poétique et vocale de la graine de sénevé, la moutarde. Symbole, s’il en est, de l’humilité et de la force générative (Marc 4, 31 et Luc 13, 18-19), elle est la plus petite des semences jetées en terre. Parabole du royaume de Dieu, elle devient arbre dans les branches duquel chantent les oiseaux du ciel. 

En un choeur mixte a cappella, avec finesse et subtilité, les voix s’enrichissant de multiplicités croissantes. De la lenteur créative d’un mouvement au centre immobile, l’éclat d’un jaillissement, d’un flot, d’un flux (vlôz, vlût, vlûzet) se porte à une sorte d’abolition sonore (Gilles Deleuze). Écrit en moyen haut allemand, ce dense poème théologique de Maître Eckhart, connu pour ses Sermons, est déjà lui-même chant. Sa prosodie incarne le mystère qu’il célèbre. Le compositeur en a disséqué, scruté chaque mot pour donner corps à une unité mobile et en illuminer l’impénétrable par une discrète enluminure musicale. Au travail des matières, sans chemin défini (genk âne wek), nous allons vers un inattendu désiré sans savoir quel nom il a, sans connaître quel il est. Nous voyageons en suivant des lignes, nous engageant dans le parcours mélodique d’un présent-origine tout à la mémoire de notre déambulation d’itinérant dans la vocalité. Source active de mouvement sans le moindre mouvement apparent, état de présence à l’immobilité, le chant anime une félicité, comme au vide le rien fait création, atopique donnant lieu. En ces intimes connexions, le texte dit ce qui, de Dieu, ne se dira jamais, autrement que par le chant s’étirant en lignes et en distributions sonores. 

Donner corps musical à un texte disant l’incommensurable n’est pas prouesse, assurément, mais bien plutôt célébration, mémoire insoupçonnée et louange. Les fibres musicales forment ici une trame de chant sur des lignes où prolifère un ensemble de variétés, explosant en lignes de fuite, à forme de ruptures et de changements. Pascal Dusapin construit le chemin vocal d’une circulation d’intensités. Le centre n’est pas milieu, mais mouvement, car ce milieu n’est ni ceci ni cela. La musique vocale temporalise ce non localisable désigné comme désert, non pas en vue d’une assignation, mais pour un déroulement qui se répand en ruissellement, allant jusqu’à s’éteindre dans l’imminence de ce qui s’annonce là : « Redeviens un enfant ». Dusapin publie, musicalement, l’altérité poétisée du Verbe nous initiant à une archè. Ce n’est pas un temps, mais une dimension où la profondeur est sans limite. Là où le commencement commande, nous avançons dans le nouveau, saisi par une suspension, une flottaison de notre être ascendant. Un flux de tension, comme une aspiration, pousse vers une imprévisibilité, comme le poème-chant lui-même ne cesse de s’ouvrir au sans limite dont il est l’expression. 

La musique est tout à fait congruente avec le fond de ce poème. En la forme architecturale d’un lieu intime, se jouent les célestes noces du texte et de la musique, car « le texte fait partie lui-même de la substance musicale. » Le chant fait la beauté toute corporelle et rythmique de cette pièce. Le lieu, non circonscrit ni déployé préalablement, se tient à l’orée d’une tension. Un allant vers, comme espace de rencontre, a pour essence un appel à la présence, ici divine. Rendre audible l’Invisible. Dans l’unité du trois. Dans le souffle vocal de l’esprit. 

Programme

Olivier Messiaen Cinq Rechants
Claude Le Jeune Le Printemps 
« Voicy le verd et beau May » 
« Je l’ay, je l’ay la belle fleur » 
« Perdre le sens devant vous » 
Pascal Dusapin Granum sinapis
Huit pièces sur des textes de Maître Eckhart pour choeur mixte
1. Im dem begin…
2. Von zwên ein vlût…
3. Der drîer strik…
4. Des puntez berk…
5. Daz wûste gût…
6. Us licht, us clâr…
7. Wirt als ein kint…
8. Ô sêle mîn…

Distribution

Spirito
Sopranos Clara Coutouly, Maéva Depollier, Marie Petit-Despierres, Sophie Poulain, Chloé Verneuil AmoureuxAltos Ségolène Bolard, Caroline Gesret, Célia Heulle, Nicolas Kuntzelmann
Ténors Almeno Gonçalves, Stephan Olry, Xavier de Lignerolles
Basses Éric Chopin, Aurelien Curinier, Jean-Baptiste Dumora, Florent Karrer 
Nicole Corti Direction

 

Coproduction festival Messiaen au Pays de la Meije
Remerciements à AIDA – Arts en Isère Dauphiné Alpes 

 

Horaires
mardi 24 janvier 2023 - 20h00
Lyon (69)
Temple Lanterne