Quarante
Le geste et le son complices et interactifs sont les véritables acteurs de ce projet à dimension architecturale. Un large effectif de quarante chanteurs et une danseuse soliste dessinent des espaces visuels et sonores dignes des oeuvres magistrales qui composent le programme musical.
D’une part, trois compositeurs majeurs de la Renaisance, de l’autre un compositeur chorégraphe Thierry De Mey qui leur rend hommage aujourd’hui en dédiant au choeur Spirito une oeuvre Quarante, inspirée par le monumental Spem in alium munquam habui de Tallis, qui ouvre le concert. Huit groupes de cinq chanteurs organisent l’espace, plaçant le public en immersion sonore. Le Deo Gratias de Ockegem et le Qui Habitat de Josquin, non moins « mantriques » prolongent et complètent l’expérience vibratoire. Les pièces de gestes, antérieurement composées par Thierry De Mey sont une respiration gestuelle et visuelle. En rupture avec les généreuses polyphonies, le seul corps dansé, révélant sa puissance expressive, est un pont vers la création de Thierry De Mey, qui se déploie jusqu’au choeur de foule.
Cette soirée est placée sous le signe de l’anniversaire, celui des 40 ans du Grame – Centre national de création musicale, institution fondée la même année que le Théâtre de la Renaissance. Une belle occasion de fêter ensemble les musiques anciennes et modernes.
À cette occasion, nous lançons un cercle des mécènes : Le Cercle des 40 ! Nous avons l’ambition de créer, à travers cette campagne, une communauté de personnes impliquées dans la vie et les nombreux projets de Spirito.
L’oeuvre de Thierry De Mey vue par :
Joël Clerget
Psychanalyste, enseignant et écrivain
Accordance
« Au point de rencontre entre musique et danse,
le geste importe autant que le son. »
Thierry De Mey, à propos de Timelessness
Thierry De Mey, né en 1956, est compositeur et réalisateur de films. Le fil rouge de son oeuvre est l’omniprésence du mouvement, art et science, dont le sens humain, avec la temporalité, est à la racine de l’être. Dans la pulsation rythmique de l’ancrage dans le sol (Fernand Schirren), comme la pratique de Nicole Corti en témoigne, se révèle l’efficience d’un mouvement intérieur. Cette approche par les sens et leur entrecroisement dit combien il s’agit de sentir et de se mouvoir. La qualité d’un sentir ouvert à un ressenti et la dynamique d’un se mouvoir tissent les relations réunissant le souffle, le mouvement et la voix. À un moment donné, une accordance s’accomplit dans une implication rythmique dont la kinétique nous transporte. Accordance, ce mot de l’ancien français, réunit l’accordage d’un instrument de musique, la manière dont un être est accordé et l’harmonie de la danse, en laquelle s’inclut la voix du geste et de l’acte. En résonance.
Timelessness (2019), parlant d’une absence de temps, représente l’une des formes de l’atemporalité de notre mémoire oublieuse. Dans cette intemporalité/atemporalité, cette absence de temps ou au temps, résonne le Zeitlos régnant sur la scène de l’inconscient. Comment concilier le temps chronologique, quotidien, celui de la montre, avec le hors espace-temps de l’inconscient, agissant en nous une autre manière de temps ? Nous sommes divisés par des qualités et textures distinctes de temps qui s’enchevêtrent. Une autre configuration de temps se fait jour, ce que confirment les modèles mathématiques, comme la théorie quantique. Les principes d’une causalité rétrograde incluent une temporalité de futur antérieur – non réductible au seul après-coup. Un sujet peut recevoir des événements improbables, et qui, non attendus, peuvent néanmoins être reçus, en leur synchronicité notamment. Le futur antérieur conjugue la dimension rétentionnelle du passé à la dimension protentionnelle impliquant l’à venir, afin de vivre pleinement au présent. Il s’agit là du futur antérieur de qui j’aurai été pour qui je suis en train de devenir, dans ce qui aura fait événement pour moi. L’enjeu est de poser un temps qui ne soit pas toujours et seulement orienté par un début et une fin, la mort. Le temps de la musique, « les notes sur la partition sont de temps spatialisé », nous délivre de la marche inéluctable vers la mort. Ainsi le mouvement, comme l’étymologie latine l’atteste, réunit en son sein, momentum et movere. La dimension du moment est renvoyée à l’atemporalité – au tout temps du sans temps – et au mouvement par lequel un système est passible de demeurer toujours présent à lui-même. L’épaisseur du présent, ce qui se passe entre, l’intervalle, se fait alors espace de présence.
L’originalité de cette oeuvre réunit le sens du geste – la main y a grande part – et la portée de la geste au suspens de son élan. Le rythme est là, non point mouvement dans l’espace, mais mouvement de l’espace en nous. Nous sommes alors, non seulement mis dans les pas de la musique et de la danse, dans ceux du musicien et du danseur, mais trans-porté dans le pas de la danse qui se met à danser en nous dans un jeté de soi à corps perdu. Nous dansons avec la danse qui danse en nous. Au rythme singulier de ce qui se forme alors au gré de notre incarnation. Ce peut être ravissement. Accordance des souffles à l’aune d’une liberté envisagée. En cette intensité rythmique, notre corps-esprit-psyché résonne avec le cosmos où notre âme-souffle s’épanouit. Ce que nous recevons et percevons n’est reçu et perçu que pour autant que nous y résonnons. L’invocation dansante, le fait de mettre la voix au chapitre du mouvement, à la gestualité, est réponse au rythme reçu et à la singularité de la voix, potentiellement perdue dans un vaste ensemble.
La musique polyphonique de la tradition (religieuse) des canons géants de la Renaissance franco-flamande, comprenant 24, 36, 40 voix indépendantes, devait donner un avant-goût de la musique du paradis, celle des anges musiciens, dans un suspens de temps prêté au Paradis. Avec Quarante, l’emprise de la signification est subvertie par le recours à des palindromes syllabiques pour les sonorités de ce qui s’entend, comme L’enfer déferlant.
Thomas Tallis (1505-1585) Spem in alium
Johannes Ockeghem (1420-1497) Deo Gratias
Josquin des Prés (1450-1521) Qui habitat
Thierry De Mey (1956) Pièces de gestes Thierry De Mey (1956) Quarante CRÉATION MONDIALE
Création pour un choeur principal et un choeur de foule Aide à l’écriture d’une oeuvre musicale originale du ministère de la Culture
Spirito (35 chanteurs)
Ensemble Alkymia (5 chanteurs) – prép. Mariana Delgadillo Espinoza
Henri-Charles Caget Préparation de Pièces de gestes
Noémie Ettlin Danse
Thierry De Mey Composition
Thomas Guerry Chorégraphie
Nicolas Charpail Création lumières
Nicole Corti Direction
En coproduction avec l’Ensemble Alkymia
FOCUS
Alkymia Ensemble vocal
Mariana Delgadillo Espinoza Direction artistique
Fondé en 2014, l’Ensemble est composé d’artistes professionnels passionnés par la recherche, l’expérimentation et les esthétiques qu’ils défendent. Sélectionné à ses débuts par la Cité de la Voix de Vézelay et le CNSMD de Lyon pour la création de son premier festival, Alkymia travaille depuis 2016 à la revalorisation des manuscrits du fonds musical de l’ABNB et mène des actions pédagogiques et culturelles en France et Bolivie. L’Ensemble Alkymia est soutenu par la DRAC AURA, la Spedidam, l’Adami, Musique Nouvelle en Liberté et le ministère de la Culture de Bolivie.