Présent(es)
Présent(es) vu par :
Marie Cousin
Ethnomusicologue
Désir. Baruch Spinoza, dans L’Ethique (1678) affirme que « le désir est l’essence même de l’homme ». Que de contradictions entre l’infini inachevé des désirs, et la recherche du bonheur et de l’accomplissement. Edith Canat de Chizy a composé Amore sur un texte de Marguerite Porète, mystique qui concevait l’accès au divin, manifesté par l’amour, dès lors que les désirs matériels avaient été surpassés : « la permanente joie d’être en divine Amour ». Dans le poème Paralytic de Sylvia Plath (1932-1963), mis en composition par Kaija Saariaho (From the grammar of dreams, 1988), la présence du corps dans le présent, la conscience de la respiration, sont un remède à la souffrance de la perte des êtres aimés. À l’ombre du magnolia qui existe par sa seule présence, tous les désirs et aspirations se font matière scintillante impermanente. Elle sourit comme un Buddha. Sous un figuier Ficus religiosa, Siddhartha Gautama (-500) devint Bouddha. Il prit la terre à témoin (Bhumisparsha) alors qu’il vainquit les armées de Mara, le dieu du Désir, et atteignit l’illumination. Spinoza encore : « Le Désir est l’effort que chaque chose fait pour conserver ou augmenter sa puissance d’agir et de penser ; la Joie est l’augmentation de cette puissance ; la Tristesse est la diminution de cette puissance ». Les Lamentations de Betsy Jolas, le Salve Regina de Guilhem Lacroux, ou encore le poème de Louise Labé sur lequel a composé Philippe Forget (La Brûlure), n’évoquent-ils donc pas ces souffrances et tristesses qui diminuent l’énergie vitale du désir ? La félicité a contrario, invoquée par Christine Mennesson dans Jour eternel 2, prend racine dans un écrit de Sri Aurobindo (1872-1950), philosophe et maître Yogi (Savitri Book XI, « Canto 1 »), qui interrelie les concepts de la Terre, du Corps et de la Joie. Tout comme les a reliés le Bouddha. Instant présent. Maître du bouddhisme Zen, D.T. Suzuki (1870-1946) affirme que « la philosophie de l’intuition accorde au temps toute sa valeur. Elle est caractérisée par l’instantanéité : chaque instant est absolu, vivant et doué de signification. La grenouille saute, le criquet chante, une goutte de rosée brille sur la feuille de lotus… ». Il en va de même pour la poésie de Gertrude Stein, dont Dusapin (Two Walkings) dit qu’elle « ruisselle de directions sans cesse renouvelées par le flux d’un imaginaire d’une ahurissante liberté ». Laissons donc la Joie ruisseler en nous, et soyons présent(es) !
Betsy Jolas (1926)
De nuit : J’ignore ou cela commence
Lamentations (2009)
De nuit : Dans l’obscurité
Edith Canat de Chizy (1950)
Amore
Pascal Dusapin (1955)
It seems to be (extrait de Two Walking)
Kajia Saariaho (1952)
From the grammar of dreams
Philippe Forget (1970)
La brûlure (extrait de Specchio)
Christine Mennesson (1955)
Jour éternel 2
Guilhem Lacroux (1974)
Salve Regina
Spirito
Sopranos Jeanne Bernier, Magali Perol-Dumora
Altos Christel Boiron, Isabelle Deproit, Caroline Gesret